Wednesday, 24 February 2016

L'article - Stephen Yeo

Influence sur les politiques – Signification et évaluation 


Stephen Yeo
Premier dirigeant
African Centre for Economic Transformation (ACET)


Les termes « répercussions sur les politiques » et « influence sur les politiques » sont souvent utilisés, mais rarement clairement définis. Ce n’est pas parce que leur sens n’est pas clair pour toutes les personnes concernées : au contraire, le sens est soit très simple, soit très vague.

D’abord, la vision trop simpliste : « J’ai rédigé un article de recherche qui a été publié dans une revue de grand renom. Le Ministre a lu l’article et a immédiatement mis en oeuvre la politique que j’ai recommandée dans l’article. » Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de connaissances sur le fonctionnement de la politique et des gouvernements pour savoir que cette déclaration est plutôt ridicule. Les ministres ne lisent pas les articles de recherche dans les revues scientifiques. De plus, même s’ils lisaient ces articles, ils ne baseraient pas leurs politiques sur le dernier article de revue qu’ils ont lu. Cette vision simpliste est toutefois attrayante, et pas seulement parce qu’elle est facile à comprendre. Si l’élaboration de politiques se déroulait de cette façon, il serait facile d’évaluer l’influence des recherches sur les politiques; il suffirait d’examiner les articles de revue et d’établir un lien aux changements politiques, ou d’examiner un changement apporté à une politique et de tenter de déterminer les articles de revue que le ministre lisait à ce moment.

Heureusement (ou malheureusement selon la perspective d’évaluation), la vision simpliste est passée de mode depuis assez longtemps – depuis les années 1960 en fait. Depuis, cette vision a été remplacée par une vision plus réaliste et plus nuancée, mais plus difficile à mesurer.

D’où provient cette vision plus nuancée, et en quoi consiste-t-elle ? Carol Weiss, une professeure à l’Université Harvard qui a étudié la politique d’éducation américaine dans les années 1970, est en grande partie responsable de cette nouvelle vision. Elle a souligné le rôle d’« éclaircissement » de la recherche, c’est-à-dire la capacité de la recherche de créer un cadre dans lequel les responsables des politiques pouvaient analyser les choix politiques et en discuter. Les chercheurs pourraient avoir une influence indirecte mais énorme sur les politiques simplement en élaborant les conditions selon lesquelles les débats publics concernant une politique sont menés et selon lesquelles les responsables des politiques réfléchissent à la situation.

Cette idée a beaucoup de mérite – il suffit de penser à la façon dont les débats sur le développement ont changé entre les années 1950 et 1990, passant des discussions sur les plans nationaux et de la planification centrale qui étaient à la mode pendant les années 1950 à la réflexion axée sur le marché des années 1990, où tous les problèmes et enjeux politiques étaient encadrés par des termes économiques, et où toutes les réponses semblaient provenir des économistes. En effet, le pouvoir d’encadrer un enjeu peut être très puissant.

Fred Carden est allé un peu plus loin avec cette idée dans son étude historique de 2009 concernant l’influence sur les politiques (http://www.idrc.ca/EN/Resources/Publications/Pages/IDRCBookDetails.aspx?PublicationID=70
). Il a défini trois différentes voies par lesquelles la recherche peut avoir une incidence sur les politiques : accroître les capacités des politiques, élargir les horizons politiques et influer sur les régimes décisionnels. Accroître les capacités des politiques consiste à renforcer la capacité des responsables des politiques à analyser la recherche pertinente aux politiques et à assimiler les idées qu’elle renferme. Élargir les horizons politiques consiste à introduire de nouvelles idées et options dans les débats politiques, une notion semblable mais pas tout à faire pareille à l’idée de Weiss, selon laquelle la recherche fournit des éclaircissements ou des cadres pour la discussion. L’influence sur les régimes décisionnels concerne également la capacité, comme la première voie, mais porte davantage sur les processus par lesquels les politiques sont discutées et choisies que sur les personnes concernées.

Il s’agit d’une façon très différente de réfléchir à l’influence sur les politiques. Cela va « bien au-delà de la simple modification de politiques spécifiques »; en fait, selon Carden, « l’influence la plus significative et durable ne consiste pas tant à apporter des changements à certaines politiques qu’à renforcer la capacité – chez les chercheurs et chez les responsables des politiques – pour leur permettre de produire et de mettre en application des connaissances qui permettront de meilleurs résultats ». Toutefois, dans cette version plus nuancée, l’influence et les répercussions ressortent seulement à long terme. Comme le relève Carden, « il faut parfois des années, voire des décennies, avant que ce type d’influence se fasse sentir ou devienne manifeste. Cela  est cependant très important. »

Par conséquent, nous avons une notion beaucoup plus compliquée de l’influence sur les politiques. Toutefois, les complications ne s’arrêtent pas là. Un développement plus récent est l’apparition de méthodes plus systématiques et rigoureuses pour évaluer les répercussions sur les politiques. La plus connue de ces méthodes consiste en des essais comparatifs sur échantillons aléatoires, qui sont devenus beaucoup plus communs et influents au cours des quinze à vingt dernières années. L’évaluation des répercussions – que ce soit par des essais comparatifs sur échantillons aléatoires ou d’autres méthodes – consiste habituellement à examiner des politiques existantes plutôt qu’à proposer de nouvelles politiques. La recherche peut donc avoir une influence importante sur la réflexion des responsables des politiques en démontrant qu’une politique existante ne donne pas les résultats voulus, plutôt que de trouver une idée pour une toute nouvelle politique. À certains égards, il est ainsi un peu plus simple d’établir des liens entre la recherche et les politiques, parce que les évaluations des répercussions sont normalement très visibles et peuvent souvent être clairement liées au discours politique.

Il en ressort un cadre plus sensé pour réfléchir à la façon dont la recherche peut influer sur la politique qui va bien au-delà de savoir si des travaux de recherche particuliers étaient responsables d’un changement précis à une politique (p. ex. une nouvelle loi, un changement à une pratique réglementaire, ou une décision de modifier une variable qui est sous le contrôle d’un responsable de politiques). Mais parallèlement, ces notions engendrent des défis importants pour les chercheurs et les Think Tanks qui doivent démontrer que leurs recherches ont eu des répercussions, ou pour les évaluateurs qui doivent examiner un programme ou un projet de recherche.

En effet, même dans le cas apparemment simple d’un changement de politique qui concerne une nouvelle loi, il n’est pratiquement jamais possible de « prouver » que des travaux de recherche précis ont donné lieu au changement à la politique. De nombreux facteurs influencent une décision politique, et la recherche n’en est qu’un seul – dans de nombreux cas, la recherche peut être beaucoup moins importante que d’autres facteurs, comme le milieu politique. Pourquoi ne pas simplement demander au politicien ou au fonctionnaire (qui a pris la décision de modifier la politique) d’expliquer la raison de sa décision ? En fait, même cette méthode est loin d’être simple – il est parfois loin d’être évident de savoir quel individu a réellement pris la décision, ou même si un seul individu était responsable de la décision. Il est donc possible qu’on ne sache pas à qui poser la question.


Il faudrait donc se fier à d’autres éléments de preuve pour mesurer les répercussions. Il pourrait être nécessaire d’analyser le contenu des documents (livres blancs, livres verts, discours par des politiciens et des fonctionnaires) pour détecter l’influence d’un travail de recherche, ou d’interroger un plus grand nombre de personnes qui ont participé de près au processus de prise de décision, et de tenter de « trianguler » leurs réponses. Cela commence à ressembler davantage au travail d’un bon journaliste ou d’un détective. Donc, même dans le cas « simple » d’une modification discrète à une politique, il est difficile de retracer la modification à un document ou à un projet de recherche.

Le défi est encore plus important pour les types plus complexes d’influence sur les politiques, comme le rôle de la recherche dans l’établissement d’un cadre pour l’analyse et le débat des politiques. Comment mesureriez-vous un changement dans un cadre ? Cela exigerait une analyse documentaire encore plus élaborée, et l’interrogation d’un nombre beaucoup plus important d’intervenants.

Les difficultés par rapport à l’évaluation de l’influence de la recherche sur les politiques sont connues et reconnues depuis un certain temps, mais il y a eu assez peu de tentatives systématiques pour traiter la question. Les travaux de Carden – qui examinent l’influence de 23 projets financés par le CRDI sur les politiques au moyen d’un cadre commun – sont probablement l’exemple le plus ambitieux. Toutefois, ces travaux ont seulement effleuré le problème, qui est l’un des casse-tête les plus difficiles et fascinants auxquels sont confrontés les chercheurs, et ceux qui les évaluent.



Entrevues - Samar verma

 

Dr. Samar Verma
Administrateur de programmes principal
IDRC, New Delhi


Q : Qu’entend-on par répercussions sur les politiques, selon vous ?

Dans le cadre de notre travail au sein du programme l’Initiative Think tank (ITT), nous sommes renseignés de différentes façons par rapport à la manière dont les institutions de recherche politique et les nombreux autres intervenants définissent les « répercussions » sur les politiques. Nous apprenons également à mieux comprendre ce terme selon nos propres besoins. Nous savons donc qu’il y a différentes dimensions à ce terme. Certaines institutions parlent de changements aux documents de politique publique comme étant des « répercussions », alors que d’autres préfèrent se servir du terme comme étant des changements dans le discours politique, ou des débats au sein de la société en général. D’autres croient qu’il est restrictif de limiter les répercussions aux changements uniquement au niveau de la politique publique, et qu’il faudrait plutôt élargir le sens à la compréhension de la façon dont les changements aux politiques publiques sont finalement mis en oeuvre sur le terrain. Les Think Tanks, qui ont une mentalité relativement plus théorique, incluent souvent des publications crédibles internationales dans les répercussions. Alors que toutes ces dimensions sont utiles et qu’il est important de les saisir, nous aimons souvent faire une distinction entre l’accès aux politiques, l’influence sur celles-ci et leur utilisation, et comprendre les répercussions sur les politiques davantage comme étant liées à l’« utilisation » des connaissances suscitées. L’« utilisation » pourrait se faire par différents intervenants, principalement au sein du gouvernement, mais pas seulement. L’accès et l’influence, y compris les publications, sont davantage perçus comme étant des façons d’arriver à l’« utilisation » et donc aux répercussions.

Q : Quels sont les exemples novateurs que vous avez observés dans des institutions ayant eu des répercussions sur les politiques ?

Il est vraiment impressionnant de constater la multitude de façons intéressantes par lesquelles les institutions continuent d’innover pour le succès des politiques, souvent dans des contextes politiques très difficiles, et parfois même dans des situations de conflit. Les innovations découlent de la diversité des modèles d’entreprise (attribuables à des stratégies de durabilité), des structures de gouvernance des systèmes institutionnels de recrutement et de maintien en poste d’employés clés (ce qui est de loin le défi le plus important qui continue à se présenter aux Think Tanks), et des stratégies de communication et de participation à l’élaboration des politiques. Nous avons également constaté des institutions qui ont travaillé en collaboration dans l’intérêt de l’innovation (par exemple, des situations où les forces des partenaires étaient complémentaires), ce qui est l’une des caractéristiques particulières que l’ITT encourage au sein de ses institutions membres. Toutefois, le facteur clé principal à l’origine de cette innovation, et qui demeure la clé de son succès, est le dynamisme du leadership institutionnel qui est activement appuyé par le conseil d’administration.

Q : Quelles sont les occasions latentes de répercussions sur les politiques que pourraient avoir les institutions ?

Nous travaillons avec des institutions très diversifiées dans le cadre de l’ITT. Un grand nombre d’entre elles existent et jouent un rôle clé dans les politiques gouvernementales nationales depuis longtemps, alors que plusieurs autres ont vu le jour dans les dernières décennies et ont connu une croissance rapide. Il y a une grande diversité en ce qui concerne la taille de ces institutions, leurs thèmes de recherche, et bien sûr leurs leadership et éléments moteurs. Toutefois, j’ai toujours eu l’impression que les institutions pourraient beaucoup mieux tirer profit de leurs forces si elles se concentraient davantage sur au moins deux secteurs, à savoir des conseils d’administration plus actifs et une stratégie de communication et de sensibilisation institutionnelle améliorée.

Q : Avez-vous des commentaires sur la nature de l’environnement qui fait en sorte qu’il soit propice pour les institutions ou les organisations d’avoir des répercussions sur les politiques ?

Une dimension claire de l’écosystème est la demande efficace de données probantes de la part de la communauté de formulation de politiques et de la société en général. Cela stimule non seulement la production de données probantes plus fiables, mais crée également une société plus renseignée et mature caractérisée par une meilleure gouvernance et responsabilisation, qui sont la base de la politique démocratique. Dans le cadre de l’ITT, nous avons déployé quelques efforts pour commencer à comprendre l’aspect de la demande en lien avec l’établissement de politiques publiques par le biais des enquêtes auprès du milieu des politiques. Ces enquêtes ne sont pas conçues comme des analyses statistiquement valides. Toutefois, elles présentent des perspectives intéressantes sur les perceptions des cadres supérieurs du milieu d’élaboration des politiques nationales concernant la qualité de l’élaboration des politiques dans leur pays, leurs préférences par rapport aux commentaires axés sur la recherche, et leurs opinions sur le rôle des types de données probantes provenant de différents fournisseurs, y compris les Think Tanks et les universités. Effectuées régulièrement, nous prévoyons également que ces enquêtes révéleront des tendances temporelles qui pourraient devenir visibles sur une certaine période. Les questionnaires remplis peuvent être consultés sur le site www.thinktankinitiative.org.

Entrevues - Anil Jain


Anil Kumar Jain
Conseiller (Énergie, changement climatique et engagements outre-mer) NITI Aayog 



Qu’entend-on par répercussions sur les politiques, selon vous ?

Les répercussions sur les politiques, selon moi, sont un changement observable de certains paramètres identifiés au préalable dans un secteur particulier d’un pays. Que ce changement soit observable ou non dépend de différentes mesures : la nature des paramètres, leurs définitions, l’espace échantillon, et la durée d’une intervention précise.
Évaluer les répercussions d’une politique ou d’une intervention est une étape importante du cycle, qui commence à la formulation de la politique, se poursuit pendant l’examen de la politique, et se termine finalement pendant la mise en oeuvre de celle-ci. Mesurer les répercussions d’une intervention est particulièrement utile pendant les ajustements en cours de route de n’importe quelle intervention, pour lesquels des dépenses publiques importantes sont engagées. C’est également important pour élaborer des stratégies de suivi visant à relever des composantes précises d’un problème qui sont considérées comme ne répondant pas entièrement aux interventions effectuées.

Selon vous, quels devraient être les paramètres ?

Avant toute chose, pour évaluer les répercussions sur les politiques, il faut élaborer une échelle de référence par rapport à laquelle mesurer le progrès. Ensuite, il faut définir les objectifs en ce qui concerne les éléments livrables fixes, afin de faciliter la surveillance. Se concentrer sur une évaluation pertinente en établissant correctement une taille d’échantillon et en incluant des techniques qui prennent en considération les différents facteurs (géographiques, socioéconomiques, politiques) qui influencent la mise en oeuvre et l’adoption d’interventions permettent également d’aider à comprendre les répercussions d’une politique précise.

Quels sont les exemples novateurs que vous avez observés dans des institutions ayant eu des répercussions sur les politiques ?

J’aimerais citer un exemple du domaine de l’efficacité énergétique en Inde. L’efficacité énergétique en Inde est un concept restreint par de nombreux obstacles à l’intégration du marché, le principal étant l’asymétrie de l’information.

Un exemple novateur dans ce domaine est la mise en place d’un tableau de bord national accessible au grand public et mis à jour en temps réel pour la surveillance de l’adoption et des répercussions du programme d’éclairage efficace domestique (Domestic Efficient Lighting Programme) du gouvernement de l’Inde (http://www.delp.in). Ce nouveau tableau de bord, accessible à n’importe qui ayant une connexion Internet, vise à lutter contre l’obstacle de l’asymétrie de l’information en sensibilisant les utilisateurs aux répercussions de l’adoption de systèmes d’éclairage efficace sur les paramètres comme l’énergie économisée par jour, les coûts économisés par jour, les demandes en période de pointe qui ont été évitées, et la réduction des émissions de dioxyde de carbone par jour. Une telle application, qui mesure les répercussions sur les politiques de façon transparente, aide à sensibiliser les utilisateurs aux avantages de l’intervention, ce qui augmente l’adoption, et finalement maximise les répercussions de l’intervention.

Quelles sont les occasions latentes d’influence sur les politiques que pourraient avoir les institutions ?

À mon avis, les institutions pourraient contribuer à exercer une influence sur les politiques en tirant profit de leurs forces en tant que répertoires d’expertise du secteur axée sur des preuves.
J’aimerais illustrer cet énoncé par un exemple de projet que nous réalisons à NITI Aayog. Dans le cadre des nouveaux objectifs de développement du gouvernement dans le secteur de l’énergie renouvelable, NITI Aayog, en collaboration avec un Think Tank chef de file en Inde et un organisme de recherche international, facilite la création d’un outil pour l’analyse géospatiale de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire. Cette analyse, qui comprend des données de tous les États, jusqu’au niveau des taluks, aiderait les investisseurs à relever différents endroits en Inde où il serait possible de procéder à l’installation, et à déterminer leur potentiel inhérent pour la production d’énergie.
Il s’agit d’un excellent exemple d’une institution qui utilise son expertise propre au secteur pour aider le gouvernement, en créant un outil qui contribuerait à l’atteinte des objectifs de développement du pays et en maximisant les répercussions sur les politiques.

Avez-vous des commentaires sur la nature de l’environnement qui fait en sorte qu’il soit propice pour les institutions ou les organisations d’avoir des répercussions sur les politiques ?

Un climat de collaboration solide entre les responsables des politiques, et les institutions et les organisations, est important pour avoir une influence positive sur les répercussions politiques. Différentes institutions ont de l’expertise dans différentes dimensions, comme la recherche, la formulation de conseils et la sensibilisation propres à un secteur. Intégrer ces institutions et leurs expertises au processus d’élaboration des politiques inculque un soutien solide fondé sur des données probantes à n’importe quelle nouvelle politique ou intervention.
Par exemple, chez NITI Aayog, nous avons créé l’un des premiers outils d’élaboration de scénarios interactifs et dynamiques de source ouverte du gouvernement de l’Inde, en vue de favoriser le dialogue et l’établissement de consensus sur les politiques énergétiques. Dans le cadre de cet exercice, nous avons fait appel à différents Think Tanks, organisations non gouvernementales, organisations de recherche internationales, organismes de l’industrie ainsi qu’au milieu universitaire. Chaque institution a apporté sa propre expertise à la table, ce qui nous a permis de créer un produit complet pour le pays. Grâce à un climat de collaboration et d’échanges intellectuels, différentes institutions ont pu contribuer à l’histoire de l’énergie de l’Inde et ainsi participer à l’élaboration et au renforcement des politiques énergétiques en Inde.

Entrevues - Andrew Hurst


Chef de programme, TTI
CRDI, Canada


Q : Qu’entend-on par répercussions sur les politiques, selon vous ?

Ma compréhension des répercussions sur les politiques est assez large. Dans le cadre de notre travail, nous avons tendance à supposer qu’on entend politiques publiques lorsqu’on parle de politiques, ce qui délimite un certain domaine de responsabilité qui a été attribué aux gouvernements au nom de leurs citoyens. Dans ce sens, les répercussions pourraient comprendre influencer la façon dont un enjeu politique est formulé, présenter les options politiques qui s’offrent au gouvernement, mettre en œuvre une politique ou une série de politiques, ou aider à évaluer l’efficacité de cette politique à réaliser ses résultats prévus. Toutefois, je pense également aux répercussions sur les autres acteurs sociaux dont les décisions et les comportements ont des conséquences – voulues ou non – sur les enjeux sociaux, politiques, économiques et environnementaux. Ici, je pense notamment aux entreprises privées, aux organisations de la société civile et même aux individus. Bien qu’il soit possible qu’il n’y ait pas de « politique privée » reconnaissable, un chercheur pourrait néanmoins déterminer si ses recherches ont eu des répercussions sur les fins qu’une politique publique aurait. Par exemple, travailler pour modifier la façon dont les entreprises tiennent compte des droits des travailleurs dans les chaînes de valeur mondiales, ou chercher à influencer les attitudes et les comportements des hommes à l’égard de la violence faite aux femmes. Ce dernier exemple peut ne pas être perçu comme des « répercussions sur les politiques » au premier abord. Toutefois, je dirais que cela devrait, parce que même dans le domaine privé (comme les ménages), il y a des enjeux d’intérêt public (comme les droits des femmes). Finalement, j’essaie de penser à la façon dont la recherche peut contribuer de manière constructive à régler les problèmes socio-économiques, politiques ou environnementaux. 

Q : À votre avis, quels devraient être les paramètres selon la perspective du bailleur de fonds ?

Cela dépend en grande partie du bailleur de fonds. Certains, particulièrement les bailleurs de fonds bilatéraux, sont plus intéressés par les répercussions en aval. Il en est ainsi parce qu’ils sont intéressés par les changements et comment les amener (ne l’est-on pas tous ?), mais également parce qu’ils sont soumis à une pression énorme pour démontrer l’optimisation de l’argent des contribuables qu’ils dépensent. Selon moi, cela a eu pour effet de restreindre ce qu’on considère comme des répercussions, tout en augmentant les attentes à l’égard de la recherche et de sa capacité à contribuer à ces répercussions. Les autres bailleurs de fonds dont les responsabilités sont différentes (par exemple les grandes fondations privées) peuvent se permettre une vision plus large des répercussions. Toutefois, cela varie encore d’un bailleur de fonds à l’autre. 

Q : Quels sont les exemples novateurs que vous avez observés dans des institutions ayant eu des répercussions sur les politiques ?

Il y en a tellement que je suis toujours réticent à n’en souligner qu’un ou deux. Notre site Web présente de nombreux Récits d’influence qui montrent comment les organisations appuyées par l’ITT – y compris le CSTEP – font une différence et contribuent à des changements sociaux positifs. Au lieu d’exemples précis, je vais mentionner une approche novatrice : la recherche qui tient compte des questions d’intégrité et de légitimité de la recherche. Cela signifie normalement solliciter la participation active des personnes ayant un intérêt par rapport au processus de recherche. Le CRDI considère les approches qui tiennent compte de ces aspects comme étant essentielles à la production de recherches de qualité. Bien que ces approches concernant la recherche ne soient pas nécessairement novatrices dans le sens où ce sont de nouvelles approches sur le plan conceptuel, elles sont trop souvent négligées, malgré qu’elles puissent avoir un effet considérable sur la probabilité que les résultats de la recherche auront des répercussions. 

Q : Quelles sont les occasions latentes de répercussions sur les politiques que pourraient avoir les institutions ? 

Les nouvelles technologies numériques ont réellement fait exploser le processus d’élaboration des politiques traditionnel et formel. Ces technologies facilitent l’accès aux idées, accélèrent les attentes des citoyens et des consommateurs, favorisent la réactivité à ces attentes, changent la nature de la production et de la consommation, et modifient les relations sociales à bien des égards. Je crois que dans ces circonstances changeantes, il y a des possibilités intéressantes d’influence à explorer. Par exemple, se servir de ces technologies pour la communication et la sensibilisation (ça se fait déjà, mais pourrait se faire à plus grande échelle), les utiliser dans le cadre du processus de recherche (p. ex. la collecte de données par production participative), ou même considérer ces changements comme des sujets de recherche pertinents aux politiques (p. ex. trouver des façons de donner l’accès à Internet aux plus de 60 % des ménages qui, selon l’Union internationale des télécommunications, n’y ont pas accès, et encore plus important, déterminer ce que pourrait permettre un tel accès).

Q : Avez-vous des commentaires sur la nature de l’environnement qui fait en sorte qu’il soit propice pour les institutions ou les organisations d’avoir des répercussions sur les politiques ? 

De toute évidence, le contexte est important  (http://www.thinktankinitiative.org/news/context-study-linking-think-tank-performance-decisions-and-context), mais comme il a déjà été noté, il s’agit d’un énoncé plutôt incontestable et inutile (http://onthinktanks.org/2015/04/20/context-matters-so-what/). De plus, votre réponse à cette question dépend beaucoup de votre organisation, de votre place au sein de celle-ci, et de ce que signifie le contexte pour vous. Toutefois, je vais proposer deux idées par rapport à votre question, qui proviennent de mon expérience antérieure en tant que responsable des politiques.
D’abord, il est essentiel de reconnaître la nature sociale du contexte et l’importance des relations personnelles dans celui-ci. Les organisations oeuvrent dans un environnement social, à savoir des milieux qui sont constitués par des relations sociales de tous genres qui sont assujetties à tout un éventail de normes et de valeurs sociales qui se chevauchent. Il est essentiel d’établir des relations cordiales et professionnelles à un niveau personnel avec les individus que les organisations tentent d’influencer pour bâtir la confiance, qui joue un rôle central dans l’efficacité des communications. Des recherches opportunes de qualité sont importantes, mais je suis d’avis qu’avoir un lien de confiance avec le public visé aide à accélérer le processus d’influence. Il y a des risques évidemment – la cooptation étant le plus dangereux – mais ils sont gérables. De plus, comme les milieux sociaux où oeuvrent les organisations ne sont pas fixés, ce que font les organisations, et la façon dont elles le font, peuvent en fait aider à améliorer les relations sociales existantes, ou même contribuer à établir de nouvelles relations. Ces résultats seront complémentaires aux résultats recherchés par les extrants de recherche, mais je dirais que le pouvoir qui découle de la façon dont une organisation est socialement intégrée devrait vraiment être pris en considération lorsqu’on détermine l’approche et l’objectif organisationnels. Établir et renforcer des réseaux personnels significatifs et diversifiés font partie intégrante de ce processus.
Ma deuxième pensée sur le contexte est l’occasion qui provient des « moments perturbateurs ». La plupart du temps, il s’agirait d’un événement imprévu qui crée une ouverture pour que des bonnes idées fondées sur des preuves fassent leur chemin. L’effondrement du Rana Plaza à Dhaka en 2013 et les séquelles en sont un exemple. Le Centre for Policy Dialogue, par le biais de son initiative de la société civile par rapport à l’effondrement du Rana Plaza, n’a pas seulement renforcé les mesures pour soutenir la surveillance par la société civile des promesses de soutien faites aux victimes, mais a réussi à profiter du moment pour élargir la  conversation avec le gouvernement et les acteurs du secteur privé pour trouver de meilleures façons de garantir la sécurité du milieu de travail et la conformité aux droits des travailleurs dans le secteur des vêtements au Bangladesh. 
Ces idées sont vraisemblablement bien connues de ceux qui gèrent les Think Tanks, et je n’ai donc pas l’impression qu’il n’y a rien de nouveau. Toutefois, dans la mesure où l’information pourrait être généralisée, il pourrait en être ainsi : il faut être proactif dans le façonnement des éléments de votre environnement sous votre contrôle, et être prêt à tirer parti du moment lorsque des influences hors de votre contrôle créent des ouvertures pour vous.

Entrevues - Carlos Gutavo



Carlos Gustavo Machicado
Directeur exécutif INESAD



Q : Qu’entend-on par répercussions sur les politiques, selon vous ?

Les répercussions sur les politiques veulent dire que la recherche effectuée par un Think Tank éclaire certaines des décisions politiques prises par le gouvernement national ou local. Si un Think Tank se spécialise dans les enjeux économiques, les répercussions doivent bien sûr se faire sentir dans les décisions que le gouvernement prend dans le domaine économique. Une façon illustrative de réfléchir aux répercussions sur les politiques consiste à envisager que les extrants d’un Think Tank sont utilisés en tant qu’intrants pour les décisions ou les mesures prises par le gouvernement.

Q : À votre avis, à titre de chef de Think Tank, quels devraient être les paramètres ?

Mesurer les répercussions est la chose la plus difficile à faire, car les paramètres peuvent certainement être très différents selon la politique. Je peux penser aux paramètres suivants :
i) Une autorité publique invite un ou plusieurs chercheurs qui ont effectué une recherche à présenter leurs résultats, ainsi que les implications politiques de l’article ou du document de travail.
ii) Les conclusions ou les recommandations de l’article ou du document de travail ont été utilisées comme arguments dans le cadre de la prise de décision politique.
iii) Il est possible de relever les mêmes mots utilisés dans l’article ou le document de travail dans les publications officielles (du gouvernement).
iv) Après avoir terminé un projet de recherche, les chercheurs sont invités par le gouvernement à titre de conseillers, ou sont invités à améliorer la recherche selon les besoins du gouvernement. Ou bien, le gouvernement pourrait aussi financer la nouvelle recherche, ou le prolongement de la recherche.

Q : Quels sont les exemples novateurs que vous avez observés dans des institutions ayant eu des répercussions sur les politiques ?

À l’INESAD, nous utilisons des jeux pour orienter certaines décisions politiques. Nous ne pouvons pas encore affirmer que ces jeux ont des répercussions sur les décisions du gouvernement, mais il semble au moins qu’ils expliquent d’une façon simple comment les gens interagissent dans différentes situations. Les jeux que nous mettons en œuvre tentent d’expliquer comment les personnes interagissent dans les marchés du travail, mais des jeux peuvent aussi être utilisés dans tous les autres types de marchés et de domaines.

Q : Quelles sont les occasions latentes de répercussions sur les politiques que pourraient avoir les institutions ?

Pour les Think Tanks qui se spécialisent dans les enjeux économiques, comme c’est le cas pour l’INESAD, il est évident que les gouvernements seraient ouverts à des suggestions pendant les périodes où la situation économique du pays se complique, et où les décisions politiques seraient associées à des coûts élevés pour la société. Il est évident que c’est la situation actuelle ou future de la plupart des pays de l’Amérique latine. Les gouvernements des pays d’Amérique latine s’achemineront vers différents compromis, et ils devront faire des choix. Je crois donc que de nombreuses occasions seront offertes aux Think Tanks au cours des prochaines années.

Q : Avez-vous des commentaires sur la nature de l’environnement qui fait en sorte qu’il soit propice pour les institutions ou les organisations d’avoir des répercussions sur les politiques ?

Il est certainement important que les gouvernements soient ouverts aux universités et aux institutions comme les Think Tanks qui fournissent des recherches sur des données et des modèles qui sont axés sur des données probantes. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans certains pays (par exemple, la Bolivie); il est donc très difficile d’avoir un effet par rapport aux répercussions sur les politiques. De plus, les fonctionnaires qui prennent les décisions politiques ne sont pas très instruits; ils ne croient donc pas à l’utilité de la recherche pour éclairer la prise de décisions. Ils prennent donc des décisions en fonction de leur intuition. Il s’agit réellement d’un problème pour les Think Tanks qui ont comme objectif premier d’offrir des suggestions qui influent sur les décisions politiques.

Entrevues - Valerie Trarore


Valerie Traore
Directrice exécutive  NIYEL



Q : Qu’entend-on par répercussions sur les politiques, selon vous ?
Tout dépend si nous parlons des répercussions sur la politique elle-même, ou des répercussions sur le processus d’élaboration de politiques. Si on suppose ce dernier cas, il y a deux niveaux de répercussions sur les politiques. Le premier consiste à pouvoir influencer le processus d’élaboration de politiques à différentes étapes, à partir de l’établissement du programme, jusqu’à l’élaboration, l’adoption ou l’examen de la politique. Le deuxième niveau, beaucoup plus complexe, consiste à s’assurer que les politiques actuelles sont réellement mises en oeuvre.

Q : Selon vous, quels devraient être les paramètres pour évaluer les répercussions sur les 
politiques ?

Pour évaluer les répercussions sur les politiques, il faut d’abord comprendre la situation initiale. Est-ce qu’il existe des politiques ? Le cas échéant, sont-elles adéquates, inclusives et réalistes, et est-ce qu’elles respectent les droits de la personne ? S’il n’existe pas encore de politique, quels sont les obstacles qui se dressent, et à quels niveaux les politiques devraient-elles être mises en oeuvre ?
Le deuxième élément de l’évaluation des répercussions sur les politiques consiste à comprendre où nous devrions chercher des répercussions pour les politiques que nous préconisons. La politique devrait-elle avoir des répercussions à l’échelle familiale (par exemple, la violence familiale ou l’accès à l’éducation), à l’échelle communautaire, à l’échelle du district, de la nation ou de la région (par exemple, le commerce et les migrations), ou à l’échelle mondiale (par exemple, les changements climatiques ou les flux financiers illicites).
Le troisième élément à prendre en considération est la dimension du changement sur laquelle la politique aura des répercussions. Par exemple, une politique d’éducation a des incidences sur l’économie, les relations sociales, la sécurité alimentaire et la gouvernance, pour ne nommer que quelques dimensions qui sont pertinentes à chaque niveau de répercussions.
Finalement, l’évaluation des répercussions sur les politiques doit également comprendre l’étude des acteurs qui ont le mandat d’apporter le changement voulu. Être en mesure d’évaluer les faibles variations de l’équilibre des pouvoirs – comme le vocabulaire utilisé par un ministre pour soutenir une certaine politique, la promotion par un député fédéral ou la participation accrue de membres communautaires aux discussions sur le sujet – permet de faire un suivi des répercussions sur une politique et de les évaluer.
Lorsque nous commençons à examiner ces trois paramètres des répercussions sur les politiques et à élaborer des indicateurs en fonction de ceux-ci, l’évaluation des répercussions sur les politiques devient beaucoup plus concrète.

Q : D’après vos interactions avec différents Think Tanks, pouvez-vous nous donner des exemples novateurs que vous avez observés d’institutions ayant eu des répercussions sur les politiques ?

Les Think Tanks ont recours à une variété d’approches, et l’innovation dont ils font preuve dépend du contexte, et de ce qui a déjà été utilisé dans ce contexte. L’une de ces approches consiste à établir un dialogue avec les leaders religieux concernant les résultats des recherches et les faire participer en tant que militants par rapport à un enjeu. Les cartes de pointage sont un autre outil très utilisé, qui tend à exploiter la nature compétitive des districts ou même des États, et qui pousse à l’action.

Q : À votre avis, la nature des répercussions sur les politiques change-t-elle d’une organisation à l’autre, ou d’une région à l’autre ?

Je ne crois pas que la nature des répercussions change d’une organisation à une autre, ou d’une région à une autre. Je crois que le processus par lequel on crée des répercussions sur les politiques varie considérablement. Chaque processus politique vise à obtenir des répercussions précises, et c’est là que l’on devrait se concentrer. Le processus qui consiste à exercer une influence sur les politiques en vue d’avoir des répercussions varie selon la nature précise et le mandat du Think Tank, l’enjeu, la cible, le contexte socio-politique, et le moment choisi, pour ne nommer que quelques facteurs.
Dans le monde des Think Tanks, pourquoi une communication efficace est-elle importante pour avoir des répercussions sur les politiques ?
Dans le monde des Think Tanks, la communication efficace n’est pas seulement importante, elle est essentielle à leur efficacité. La plupart des Think Tanks existent pour offrir des travaux de recherche et des solutions aux problèmes de développement. Les recommandations qu’ils proposent visent à servir les intérêts de l’élaboration des politiques ou des modifications de politiques, mais si ces recommandations n’atteignent pas les publics voulus avec la communication, elles deviennent obsolètes

Entreves - S.V. Ranganath

Les politiques publiques : Une perspective indienne



S.V. Ranganath, IAS (à la retraite)
ANCIEN PREMIER SECRÉTAIRE, GOUVERNEMENT DU KARNATAKA



Que sont les politiques publiques ?

On pourrait définir l’élaboration des politiques comme suit : « le processus par lequel les gouvernements transposent leur vision en programmes et en actions qui produisent des incidences (changements désirés) concrètes. »  On présume que les gouvernements agissent comme une personne parfaitement rationnelle qui choisit toujours les meilleures options disponibles pour concevoir une politique, quelle qu’elle soit. Toutefois, il n’en va pas ainsi dans la réalité. Dans la pratique, les options disponibles ne sont pas toutes analysées ou approfondies. On adopte une démarche progressive pour apporter des changements aux politiques. D’après Herbert Simon, toute personne obéit à une « rationalité limitée », ce qui signifie que personne ne peut recueillir toute l’information et la traiter parfaitement, de manière à en arriver à une décision rationnelle.

Comment les politiques publiques sont-elles formulées ?

En Inde, il y a un gouvernement national ou fédéral, de même qu’un gouvernement pour chacun des États, et la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des États est énoncée clairement dans la constitution. Tant au palier fédéral qu’à celui des États, c’est le gouvernement politique, c’est-à-dire le parlement ou la législature, selon le cas, qui établit les politiques. L’organe politique du gouvernement est composé du premier ministre/ministre principal et des membres du conseil des ministres. Les lois qu’adoptent le Parlement ou la législature de l’État fournissent le cadre pour l’élaboration de politiques détaillées par le pouvoir exécutif. Dans la pratique, il revient au Secrétaire du gouvernement d’amorcer l’élaboration d’une politique et d’étudier les diverses options disponibles; c’est le ministre ou le Cabinet qui prend la décision finale. Chacun des ministères est chargé d’élaborer la politique sectorielle, mais il ne peut prendre seul de décision. Les règles d’attribution des marchés existantes demandent qu’on procède à des consultations avant de rendre une décision finale. Les questions qui ont des incidences financières doivent obtenir l’approbation du ministère des Finances; les questions d’ordre juridique requièrent l’avis et l’approbation du ministère de la Justice de l’État. La formulation de toute politique d’importance exige qu’on obtienne les points de vue de divers ministères associés à la mise en oeuvre de la politique en question. Par la suite, on soumet la question au Cabinet, qui doit concilier les différentes positions et approuver la politique avec les modifications jugées nécessaires.

Bien que les sphères de compétence du gouvernement central et des gouvernements des États soient clairement précisées dans la constitution, le gouvernement central élabore des politiques relatives à des sujets qui apparaissent dans la liste des compétences concurrentes. La politique nationale en matière de santé et la politique nationale en matière de logement sont deux exemples de ce phénomène. Plusieurs programmes sectoriels centraux importants qui prévoient l’affectation de sommes considérables en vertu de programmes tels que la MNREGA, JnNurm et la National Rural Health Mission, sont exécutés par les gouvernements des États. Ainsi, bien que les politiques de ces secteurs soient élaborées par le gouvernement central, leur mise en oeuvre dépend de l’engagement et du dévouement de l’appareil de l’État. Cela a de profondes répercussions sur la réussite de ces politiques.

Plusieurs autres parties prenantes interviennent à la fois directement et indirectement avant qu’une nouvelle politique voie le jour. Des groupes d’intérêt, des groupes de pression et des particuliers exercent une influence sur les responsables des politiques, aux paliers tant politique que bureaucratique, et l’on tient compte de leurs opinions en élaborant les politiques. Ces groupes de pression peuvent comprendre des regroupements d’agriculteurs, des associations industrielles et commerciales, des associations d’enseignants et certaines sections de la société civile.

Le pouvoir judiciaire joue un rôle important dans l’élaboration des politiques. De multiples mesures législatives appellent une interprétation de la part des tribunaux. Ceux-ci interviennent aussi dans la mise en oeuvre effective des politiques et émettent des directives au pouvoir exécutif. Les exemples récents d’interventions judiciaires dans la mise en oeuvre de politiques concernaient la réglementation des activités minières dans le Karnataka et la répartition du spectre 2G. Dans les cas liés au 2G, la Cour suprême a constaté qu’« en vertu de la Constitution, la révision judiciaire est l’une de ses caractéristiques fondamentales, et en procédant à une telle révision judiciaire, la cour peut assurément examiner et même rejeter des décisions stratégiques prises par le pouvoir exécutif lorsque ces décisions sont inconstitutionnelles ». Dans une autre affaire, la Cour suprême a constaté que : « Les juges doivent connaître leurs limites et ne doivent pas essayer de diriger le gouvernement. »   L’intervention judiciaire dans l’élaboration des politiques n’est pas propre à l’Inde; elle est courante dans tous les pays démocratiques où les tribunaux cherchent à intervenir lorsqu’il en va de l’intérêt public.

Quels défis les responsables des politiques doivent-ils relever ?

La plupart des politiques et des programmes gouvernementaux qui semblent bien conçus, logiques et pertinents sont bien loin de répondre aux attentes des responsables des politiques sur le plan de la mise en oeuvre. On peut répartir en quatre grandes catégories les raisons pour lesquelles la mise en oeuvre des politiques et des programmes gouvernementaux n’est pas à la hauteur.

a) Piètre coordination interministérielle : Au sein de l’appareil d’État, les règles d’attribution des marchés (Rules of Business Allocation) précisent la répartition des dossiers entre les ministères compétents. Cette attribution est fondée sur la façon dont le gouvernement perçoit les besoins sur le plan de la gestion; elle fonctionne habituellement très bien. Toutefois, au quotidien, la plupart des enjeux comportent des problèmes qui recoupent les sphères de compétences de nombreux ministères; or, c’est là que le bât blesse. Par exemple, quatre ministères peuvent intervenir dans un programme de nutrition (le Department of Health and Family Welfare, le Department of Women and Child Development, le Department of Education (pour les repas du midi) et le Department of Food). La plupart des sujets qui touchent la vie du simple citoyen relèvent de la compétence de trois ou quatre ministères. Malheureusement, les niveaux de coordination entre les ministères sont faibles; la plupart des ministères protègent jalousement leurs compétences, sans accorder suffisamment d’attention à la nécessité de se soucier de la qualité d’exécution des programmes. Il s’agit là de la raison fondamentale pour laquelle de nombreux programmes gouvernementaux échouent à l’étape de la mise en oeuvre. Par conséquent, il faut combler sans tarder la lacune qu’engendre le manque d’attention accordée aux questions relatives à la coordination interministérielle et aux « rivalités de clocher » par les ministères compétents.

b) Attention insuffisance au développement des capacités : La responsabilité de mettre en oeuvre les politiques et les programmes relatifs au bien-être du simple citoyen incombe presque exclusivement aux gouvernements des États. Des échéanciers efficaces, l’esprit d’initiative et d’innovation, le dévouement, l’intégrité et le souci des résultats sont les caractéristiques essentielles de la structure de gestion de toute unité de mise en oeuvre compétente. En outre, tout gestionnaire de projet qui connaît du succès est apte à prendre des risques calculés, à inculquer l’esprit d’équipe et à s’assurer que les membres de l’équipe donnent le meilleur d’eux-mêmes. Tous les fonctionnaires qui participent à la mise en oeuvre d’une politique publique doivent posséder ces qualités en abondance.

Toutefois, une dimension supplémentaire d’ouverture, de transparence, d’adhésion indéfectible aux principes de justice naturelle et, surtout, de compassion est une qualité essentielle de l’administrateur public. Il est en outre nécessaire de créer un milieu qui encourage les fonctionnaires à prendre des risques. Présentement, non seulement le milieu ne récompense-t-il pas les preneurs de risques, mais il cherche à les pénaliser. Ce ne sont pas tous les membres des équipes chargées de la mise en oeuvre des politiques et des programmes qui possèdent l’ensemble de ces qualités. Il s’agit là de l’une des principales raisons des défaillances de la mise en oeuvre de politiques bien conçues. Il est nécessaire de s’employer sérieusement à renforcer les capacités des personnes chargées de la mise en oeuvre des politiques publiques.

c) Des systèmes et des procédures archaïques : La plupart des systèmes et des procédures les plus répandus au sein de l’administration publique de l’Inde durant la période coloniale sont demeurés en place après l’indépendance. Le gouvernement colonial entendait s’assurer que l’administration publique soit un instrument de contrôle et de commandement. Aujourd’hui, ces priorités ont été transformées de fond en comble et le gouvernement cherche plutôt à se rapprocher de la population. La plupart des procédures actuellement en vigueur ne sont pas conviviales; chaque citoyen doit se présenter à maintes reprises dans les bureaux de l’administration pour obtenir ce qui est son droit légitime. Ces procédures archaïques engendrent des retards et de la frustration, et donnent souvent lieu à des rumeurs de corruption. Il est nécessaire de revoir immédiatement et de modifier radicalement les procédures en vigueur pour accroître leur transparence et leur convivialité. Il est aussi nécessaire de recourir abondamment à la technologie pour que les procédures deviennent plus ouvertes et faciles d’accès.

d) Intervention judiciaire : Dans la plupart des politiques, on prévoit circonscrire l’intention du gouvernement dans une loi pertinente. Lorsque le projet de loi est mal rédigé, on confère des pouvoirs discrétionnaires à l’autorité d’exécution, sans compter qu’on ouvre la voie à des litiges interminables devant les tribunaux. Puisque les tribunaux sont intervenus plutôt activement dans les affaires comportant une violation des dispositions de la constitution ou d’autres lois pertinentes, il faut porter une attention beaucoup plus grande qu’on ne le fait aujourd’hui à l’élaboration des lois et des règlements par la législature et par la bureaucratie.

Comment un think tank peut-il favoriser l’élaboration des politiques ?

La plupart des responsables des politiques au sein de la fonction publique manquent de temps. Un responsable des politiques doit pouvoir compter sur un apport de données à caractère multidisciplinaire. En plus de connaître intimement le domaine, le responsable des politiques doit posséder une connaissance plus que sommaire de l’administration publique, de la gestion moderne, de la théorie économique, de l’économie comportementale, du droit, des sciences politiques, de la psychologie et de la sociologie, en plus des options technologiques disponibles. C’est un think tank qui est le mieux placé pour fournir ces intrants multidisciplinaires dont sont avides les responsables des politiques. À l’heure actuelle, cette expertise n’existe dans aucun ministère; c’est donc là un des principaux domaines où l’interaction entre le gouvernement et les think tanks contribuera de façon déterminante à l’amélioration de l’élaboration des politiques.

Comme nous l’avons mentionné, les responsables des politiques n’ont pas l’habitude de prendre en considération l’ensemble des options disponibles lorsqu’ils élaborent une politique, en raison des limites imposées par la « rationalité limitée ». Un think tank peut offrir davantage d’options à explorer au responsable des politiques, ce qui devrait l’aider considérablement. La plupart des programmes d’aide sociale pourraient connaître une mise en oeuvre beaucoup plus fructueuse si un think tank compétent, apte à repérer les goulots d’étranglement et les obstacles, et à proposer des modifications pertinentes, réalisait une évaluation. Pour l’instant, l’évaluation des programmes repose sur des données recueillies par l’entremise de questionnaires. Il serait utile qu’un think tank soit invité à évaluer les principaux programmes et politiques du gouvernement au moyen d’une « recherche-action ».