Wednesday, 24 February 2016

L'article Venesa Weyruch

Expérience dans l'impact des Politiques

Vanesa Weyruch
Consultante indépendante et chercheuse adjointe au CIPPEC



Dans le cadre des débats actuels sur la nature de l’influence sur les politiques et sur la façon de déterminer si les efforts d’un organisme de recherche sur les politiques ont porté des fruits, nous avons été récemment témoins d’une prise de conscience croissante de la complexité de cette tâche; les questions sur ce qu’il est vraiment possible ou vaut la peine de mesurer ne manquent pas.
En effet, une des principales constatations que font les personnes qui suivent notre  cours en ligne axé sur le suivi, l’évaluation et l’apprentissage (SEA) porte sur la nécessité de redéfinir l’influence sur les politiques : est-ce que seule l’influence exercée sur une politique ou un programme particulier devrait être considérée comme de l’influence sur les politiques ? Qu’en est-il des changements qu’on réussit à opérer dans les mentalités, les croyances, les cadres, les idées, les ressources, les capacités et les relations entre les intervenants qui sont soumis à l’influence des politiques ou qui peuvent l’être ? Une véritable contribution à l’élaboration de nouvelles politiques ou la participation à la modification d’une politique existante peuvent-elles être considérées comme le Graal.

Grâce à des échanges riches et suivis avec des collègues de pays en développement, nous avons constaté une reconnaissance et une prise de conscience considérables du besoin d’élargir la portée du concept d’influence sur les politiques pour y intégrer, par exemple, les incidences à court terme à l’échelon des acteurs (changements dans les mentalités, les comportements, les croyances, le discours, etc.). Ces changements sont souvent nécessaires pour qu’on soit ensuite en mesure d’exercer une influence sur les décisions et, par conséquent, de modifier ou de créer de nouvelles politiques inspirées par les recherches produites. Il est donc capital de reconnaître le long cheminement et la nature diversifiée de l’influence pour évaluer les réussites et les échecs, y compris les parties prenantes que doit toucher notre travail. En fait, ce qui peut apparaître comme une situation gagnante, par exemple l’adoption, par un responsable des politiques, d’une recommandation issue directement de notre recherche, peut devenir un échec lorsqu’il décide d’offrir un nouveau service sans gérer de façon avisée ses coûts implicites. Dans cet article   publié sur le site de Politics & Ideas, Ulviyya Mikayilova, directrice de l’unité responsable des politiques au Center for Innovations in Education (CIE), en Azerbaïjan, décrit cette situation paradoxale et met en avant le besoin de remettre en question la véritable nature de l’influence sur les politiques.
Qui plus est, le fait d’avoir contribué à un changement de politique bien précis (c.-à-d. après avoir élaboré une formule pour calculer une répartition plus équitable des nouveaux fonds destinés à prolonger les heures d’enseignement pour les élèves les plus pauvres) n’est qu’un nouveau chapitre d’une histoire complexe et non linéaire. Il ne suffit pas de reconnaître l’ampleur des efforts, des activités, des stratégies et des relations qu’ont déployés un groupe de chercheurs ou un établissement de recherche pour informer, convaincre et aider d’autres personnes à mettre au point un tel changement. Une fois qu’on possède le nouveau contenu — ou qu’on met en oeuvre de nouvelles procédures — il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour aider à faire en sorte que ce changement ait des répercussions tangibles sur les bénéficiaires de cette politique. En somme, pour de nombreux bailleurs de fonds et bénéficiaires, il s’agit de savoir si la recherche a aidé à améliorer la vie de la population. Vaut-il la peine d’y investir ?

Pour répondre à cette question de façon intelligente et utile, il nous faut procéder à de nouvelles discussions et à de nouvelles réflexions. Par exemple, les think tanks/institutions de recherche sur les politiques sont-ils responsables des répercussions finales ? Devraient-ils ou peuvent-ils l’être ? Peut-on se contenter de revendiquer une contribution à un changement de politique fondé sur une recherche pertinente de grande qualité sans produire par la suite des données probantes sur les raisons qui expliquent le succès ou l’échec de cette politique ?

Il ne s’agit nullement d’un dilemme sans importance. Dans quel cadre notre travail s’inscrit-il ? Quand la tentative d’exercer une influence sur les politiques devrait-elle prendre fin ? Est-ce à l’étape de la conception, c.-à-d. après avoir proposé avec succès de bonnes idées issues de la recherche qui mènent à l’élaboration de nouvelles politiques ou à la modification d’une politique existante ? Qu’advient-il alors de la mise en oeuvre ?

Il se peut que certains organismes se désintéressent de ce qui survient par la suite. Il incombe à l’État, et cela est du ressort du gouvernement, de mettre tout en oeuvre pour s’assurer que les politiques soient déployées de manière à obtenir, dans toute la mesure du possible, les résultats visés. Les parties prenantes de l’extérieur ne peuvent jamais être tenues responsables de cette étape et elles ne devraient tenter ni d’influencer ni de contrôler cette démarche, sans compter que cette façon de faire porterait atteinte aux capacités de l’État et à son obligation de rendre des comptes.
D’autres, par contre, décident de s’engager encore davantage : certains, en procédant au suivi et à l’évaluation des résultats de la politique afin d’éclairer les futurs efforts et de devenir des gardiens sociaux au nom des bénéficiaires visés. D’autres encore s’engagent dans la mise en oeuvre des politiques : ils se mouillent et s’emploient à fournir de l’assistance technique ou à renforcer les capacités des hauts fonctionnaires de sorte que la politique soit mise en oeuvre comme il se doit ou, à tout le moins, qu’elle maintienne le cap. Cette façon de faire fournit aussi des enseignements en vue des efforts et des recommandations futurs. Toutefois, qu’arrive-t-il lorsqu’on ne souhaite procéder de la sorte que dans le cas des premiers projets pilotes ou seulement pour des responsables des politiques de certains niveaux ? Ces organismes possèdent-ils suffisamment de ressources (humaines et financières) pour jouer un véritable rôle lorsqu’il s’agit de politiques de moyenne ou de grande échelle ? Y perdraient-ils de l’indépendance, de l’autonomie et leurs capacités à continuer d’innover ?
De toute évidence, une approche qui reconnaît la complexité révèle qu’il n’y a pas de réponse unique ou bonne à cette question. Bien au contraire : elle exige que les personnes qui jouent à ce jeu réfléchissent davantage et déterminent de façon plus avisée quel pourrait être leur meilleur rôle. Il se peut que les réponses varient en fonction de la diversité des contextes politiques, des priorités et des valeurs organisationnelles, des capacités d’autres parties prenantes de l’extérieur de jouer des rôles semblables, etc.

L’influence sur les politiques est un kaléidoscope en perpétuel changement et l’on ne saurait faire fi du besoin de demeurer flexible et dynamique. Toutefois, il faut éviter le risque de tout simplement suivre la tendance en réagissant là où se présentent les demandes et les occasions émanant de tiers sans remettre en question, à certains points critiques du développement, ces principaux buts, mission et vision. Une certaine structuration assure la bonne santé d’un organisme de recherche sur les politiques, en préservant son identité. Une certaine souplesse lui permet de conserver sa pertinence, d’être apprécié et de demeurer nécessaire. Il est loin d’être facile d’en arriver à un tel équilibre, mais celui-ci aidera probablement l’établissement à s’épanouir dans un milieu des politiques en perpétuel changement et de plus en plus complexe.


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